Inscrivez-vous
Des offres exclusives et événements gratuits
Il y a des shows qui vous marquent par leur originalité, leur audace, leur prise de risque. C’est le pari réussi de la pièce à tendance queer Quartett Solo présentée en ce moment au Théâtre Prospero dans laquelle le comédien Charles Voyer livre une performance radicalement contemporaine.
Solo de genre
Version mutilée du Quartett de Heiner Müller sortie en 1980, elle-même relecture radicale des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos écrite en 1782, la pièce Quartett Solo prend l’angle d’un personnage secondaire dans les deux œuvres précédentes : Madame de Tourvel, épouse fidèle détournée de ses principes religieux et moraux. À partir de cet échange épistolaire révélant entre autres les mœurs osées de Madame de Tourvel et du vicomte de Valmont, l’adaptation du Théâtre indépendant transforme la forme chorale du roman en un solo performatif magnifiquement mis en corps par le comédien Charles Voyer. Sa gestuelle parfaitement maîtrisée et son androgynie versatile siéent à la perfection aux amants dont les rôles s’intervertissent dans plusieurs scènes. À lui seul, Charles Voyer incarne donc tous les personnages dans une ingénieuse mise en scène qui permet cet échange des genres. Plongé dans le noir, il interprète la joute verbale entre Valmont le séducteur et Tourvel la vertueuse, qui se rencontrent à l’orée d’un jardin, au crépuscule.
Une guerre intérieure
Avec subtilité et justesse, le comédien déploie une force cathartique qui rend hommage au pouvoir féminin de Madame de Tourvel. Torturée par ses principes moraux, l’épouse oscille entre l’appel de la luxure et la lutte contre son amant dévorant. Croupissant dans l’abîme fantasque de ses souvenirs, elle ne peut s’empêcher de rejouer — non sans plaisir — le moment de sa chute. L’ode désormais culte au libertinage offre donc ici une réflexion sur la douleur. Et en cela, la mort rôde partout. Dès le tableau très organique avec lequel débute la pièce. À ce titre, Quartett solo constitue le plus récent opus d’un cycle autour des thèmes du désir et de la mort amorcé avec les deux pièces précédentes du Théâtre Indépendant. Déchiré, le fantôme de Madame de Tourvel devra chercher une nouvelle voie pour assurer sa renaissance et le maintien de sa vertu malgré tout.
D’une profondeur sans pareille, elle lance ainsi des tirades bien senties sur la quête effrénée, encore très contemporaine, de rationalité à tout prix. Ode à la fiction, aux fantasmes et à la contingence du désir, le texte interroge notre rapport au corps et à la conscience. La trame sonore et les bruitages subliment l’atmosphère sensuelle et fantomatique de la pièce, en nous immergeant d’entrée de jeu dans l’abîme érotique du péché. Sous les lumières néon, le corps du jeune diplômé du Conservatoire d’art dramatique est lui tout entier engagé dans le désir. Ainsi, le combat qui s’apparentait chez Müller à une joute des sexes se transpose ici en une guerre intérieure ayant choisi le corps de Tourvel comme champ de bataille.