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Le soir du mardi 15 avril marquait la première de la pièce Janette, présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 17 mai. Écrite par l'auteure Rebecca Deraspe à travers des conversations avec Janette Bertrand, cette pièce ressasse l’incroyable vie de Janette, qui a su, et qui continue d’ailleurs, à marquer le Québec grâce à sa fougue, son féminisme et son ouverture d’esprit. Portée par le monument qu'est la comédienne Guylaine Tremblay, qui ne quitte pas la scène une seule fois de toute la durée de l’œuvre (deux heures), il s’agit d’une pièce sensible, comique, pertinente, qui fait l’effet d’un véritable baume au cœur.
La centième bougie sur le gâteau de l’existence de Janette Bertrand a été soufflée en mars dernier, offrant l’occasion au Québec de célébrer cette grande dame ayant laissé ses traces un peu partout à travers l’histoire du dernier siècle. C’est à ce moment-ci que je me dois d’admettre que je ne connaissais alors pas grand-chose du parcours de Janette, ou du moins j’étais loin de m’imaginer qu’elle avait été omniprésente à travers toutes les luttes qui ont mené à la liberté que je déguste aujourd’hui en tant que femme. La pièce a donc eu un effet coup de poing, alors que, de mon siège, je contemplais la vie de cette femme paver le chemin de mes droits que je croyais fondamentaux.
Janette est dressée tel un menu quatre services, offrant un clin d’œil aux livres de recettes que Janette Bertrand a publiés à travers les années. D’ailleurs, la scénographie, imaginée par Odile Gamache, présente un décor en formule cabaret, entourée à gauche et à droite par des tables où sont assis des privilégiés se faisant servir différents plats à chaque acte : l’entrée froide (la relation avec sa mère), l’entrée chaude (sa famille), le plat principal (sa vie publique), et termine finalement avec le dessert, sa relation avec son deuxième grand amour, Donald.
Le moteur narratif de la pièce est guidé par une anecdote racontée au tout début, alors que Janette déclare en ricanant ne pas s’être fait reconnaître par une adolescente dans une boucherie (ce qui a outré la mère de la petite). Avec douceur et sens de l’humour, elle procède alors à lui relater les chapitres importants de sa vie, autant ceux connus de la sphère publique, que des moments plus marquants de sa vie personnelle.
La performance de la comédienne Guylaine Tremblay est à couper le souffle. Ses talents d’imitatrice ayant déjà été prouvés à travers divers Bye-Bye, elle s’est toutefois dépassée en proposant au public une version de Janette plus vraie que nature. « C’est notre grand-mère à tous », m’étais-je fait répéter avant même d’avoir vu la pièce, et c’est réellement le sentiment que le personnage offrait sur scène. Chaleureuse, rigolote, touchante et forte, elle mettait le public en confiance et il se laissait ensuite bercer au gré de ses récits.
Accompagnée par Normand Chouinard, Zoé Lajeunesse-Guy, François-Simon Poirier, Sébastien Rajotte, Lorenzo Somma, Phara Thibault et Cynthia Wu-Maheux, tous aussi attachants les uns que les autres, la protagoniste racontait avec humour et tendresse ses débuts en radio lorsqu’elle parlait encore en français normatif, comment elle s’est fait inviter dans les loges des Beatles, la rencontre des hommes qui ont marqué sa vie, et la création des projets télévisuels dont elle a été la tête d’affiche à travers les années, comme L’amour avec un grand A.
Bien que la pièce regorge de moments forts (notamment les chansons interprétées par les comédiens), le monologue final est, selon moi, l’apothéose du spectacle. Une tirade de presque dix minutes, présentant Janette voulant s’adresser à l’adolescente pour la dernière fois. Elle la supplie de profiter de la vie, d’aimer fort, de s’aimer fort, de se trouver belle, et d’être « tannante ».
$Rares sont les textes qui réussissent avec autant de justesse à nommer ce que c’est d’être une femme, et les défis que cela comporte. Ce monologue est un véritable tour de force, autant de Rebecca Deraspe, que de Guylaine Tremblay. La dernière phrase, « allez, viens danser », conclut la pièce avec brio, englobant tout le plaisir qui s’est écoulé de cette pièce que le public venait de voir, de cette vie qui venait de défiler sous nos yeux.
J’étais accompagnée de ma grand-mère hier soir, ce qui a rendu le tout encore plus spécial, notamment car la petite-fille de Janette Bertrand, Zoé Lajeunesse-Guy, faisait partie de la distribution, et partage un moment spécial durant la pièce avec sa « mamie », jouée par Guylaine Tremblay. Elle qui avait grandi avec Janette à la télévision, moi qui ne la connaissais que de nom, mais toutes les deux aussi touchées par les propos soulevés par la pièce l’une que l’autre.
Le thème du féminisme était l'une des pièces maîtresses de la pièce. Janette Bertrand brisait des tabous en parlant de plaisir féminin, de relations entre une femme plus âgée et un homme plus jeune, et de ne pas avoir la langue dans sa poche. Née en 1925, Janette a connu l’époque où le viol conjugal était encore permis, et que les femmes avaient le même statut que des mineures. Regarder cette pièce avec la rétrospective d’aujourd’hui, c’est poignant.
Surtout en sachant que ces droits acquis en un siècle sont susceptibles de s’effondrer à tout moment. J’écoutais les propos de Janette sur la liberté de la femme, sous toutes ses formes, et je sentais la main de ma grand-mère se serrer sur la mienne, pour me mentionner que ces mots la touchaient autant que moi.
Deux générations nous séparent, ma grand-mère et moi, et pourtant, les mêmes convictions, les mêmes craintes, et les mêmes envies nous habitent. Janette Bertrand est centenaire, une actrice, une journaliste, une écrivaine, une cuisinière et une militante, mais elle est surtout une femme. Ma grand-mère aussi, et moi aussi, et c’est ce qui nous unit, à travers les âges et les batailles qu’elles ont portées et que je continuerai à mener.
Les billets sont disponibles sur la billetterie du Théâtre Duceppe