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La série de textes Poésie du quotidien présente des sujets prosaïques avec une teinte poétique.
Ce jour-là, Jacques faisait mijoter sa fameuse sauce bolognaise, lorsque sa femme, Claire, après 40 ans de mariage, entre deux bouchées de prosciutto, lui annonça qu’elle le laissait. Il alluma le feu comme si de rien n’était et mis les pâtes à cuire. Puis subrepticement, il se dirigea vers la porte et sortit.
En état de choc, il avait tout oublié, sauf sa femme. Jacques se mis à tourner en rond. Il avait complètement perdu le sens de l’orientation. Lorsqu’il voulut rentrer, paniqué, il se demanda: « Où est la maison? Et la clé de mon jardin? » Il chercha partout, mais ne savait plus où il habitait. Jacques, dans un délire, inventa des rues, des adresses, des villes. Épuisé, il s’assit par terre au centre d’une rue et sanglota jusqu’à ce que les policiers viennent le chercher.
Après plusieurs heures à marcher par hasard dans un croissant, il reconnut sa demeure. La voiture n’était plus la même, mais elle était toujours là. Il la contourna pour entrer par-derrière, comme il l’avait d’ailleurs toujours fait avec le cœur de sa femme, afin d’éviter d’être rejeté. Bien que, pour lui, traverser le jardin en novembre soit comme croiser la mort.
Jacques se retrouva seul, assis un long moment dans le jardin, devenu boiteux et sans fleurs. « Quelle tristesse, se dit-il, pour ceux qui ignorent leurs sentiments. Quoique comme moi, ne pas pouvoir les exprimer soit guère mieux. Toujours tout contourner et passer par la porte de derrière. »
Soudainement, il entendit des pas et leva la tête. Il cru un instant reconnaître Claire. Mais c’était plutôt la dame qui avait acheté sa maison lors de son divorce, 12 ans plus tôt. Il ne s’en était jamais remis. Du coup, la démence n’attendait que cela pour doucement tisser sa toile.
« Bonjour, monsieur Jacques. Comment allez-vous? Je ne croyais pas vous revoir après avoir appris que vous ne conduisiez plus. Vous n’êtes tout de même pas venu jusqu’ici, à pied, du CHSLD? Je vais les appeler. Ils doivent sûrement s’inquiéter. Je vous fais un café. Vous buvez toujours du café?
- Oui, merci. Vous savez, je serai beaucoup plus patient cette fois. Je suis prêt à attendre le temps des lilas, la couleur et la fleur favorites de ma femme, Claire. J’ai oublié mon coupe-vent. C’est gris et humide en novembre, mais quand même, je resterai jusqu’au printemps et prendrai cette fois la porte de devant, et enfin je dirai à ma femme que je l'aime et que je n'arrive pas à l'oublier. »