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Hier soir, dans l’écrin brut et décalé du Bain Mathieu à Montréal, Circo était présenté en première québécoise dans une ambiance à la fois festive et profondément humaine. Le lieu, transformé pour l’occasion en salle de projection immersive, accueillait juste avant un spectacle de performances drag haut en couleur. Une entrée en matière parfaite pour ce documentaire qui parle justement de transformation, d’identité, et de la puissance de l’expression artistique.
Réalisé par Lamia Chraibi et produit par Les Productions Leitmotiv, CIRCO est le fruit de sept années d’immersion dans le quotidien de Richard, un jeune artiste de Rio de Janeiro, que l’on voit peu à peu devenir Ashila. À seulement 21 ans, après avoir été mis à la porte par sa mère adoptive, Richard se retrouve sans repère, dans un moment de bascule. Le rêve de devenir circassien professionnel s’éloigne, et commence alors une longue quête intérieure — faite de ruptures, de rencontres, de performances drag, et de rituels de guérison.
Ce qui touche immédiatement dans CIRCO, c’est la justesse du regard porté sur les protagonistes. Il n’y a pas de voix hors champ, pas de narration explicative, juste la vie qui se déroule, avec ses élans et ses silences. La caméra capte les gestes du quotidien, les regards, les non-dits, et laisse de la place à l’émotion. On ressent que la réalisatrice a pris le temps : plusieurs mois sans caméra pour créer un lien de confiance. Ça se sent dans chaque plan.
Ashila ne nous est jamais présentée comme un symbole ou une victime. C’est une personne complexe, vibrante, souvent drôle, parfois en colère, perdue mais toujours en mouvement. Sa relation avec sa sœur, Nathacha, aussi belle que chaotique, est l’un des fils rouges du film, un ancrage dans un monde où tout semble glisser.
Circo aborde des sujets durs : la pauvreté, le rejet, la solitude, le poids des rêves brisés. Mais jamais le film ne cherche à faire pleurer. Il montre sans forcer, sans commentaires, en laissant les images parler. La douleur est là, mais aussi la beauté, l’énergie, la créativité l’envie de reconstruire l’espoir. On voit des corps danser, des regards chercher du sens, des tentatives d’exister autrement dans une société qui ne laisse pas beaucoup de place à la différence.
Et puis il y a le cirque — ce rêve qui traverse tout le film, même quand il semble s’effacer. La scène devient un espace de réinvention. Ashila ne fera peut-être pas carrière dans une grande compagnie, mais elle transforme son désir de scène en autre chose. Dans le drag, dans la performance, dans la spiritualité, elle recrée un art qui lui ressemble. On se retrouve beaucoup également dans la vision du lien frère et sœur qui finit le film. Cette richesse d’un lien unique qui peut malgré la difficulté de la vie, nous garder souriants.
Visuellement, le film est magnifique. Les plans sont souvent fixes, la lumière naturelle, les cadres précis. On sent la main d’une réalisatrice qui sait où poser son regard sans s’imposer. La direction de la photographie de Marcel Mueller, le montage de René Roberge, la prise de son tout en douceur de Priscila Alves, ou encore la conception sonore d’Olivier Calvert créent une atmosphère juste, qui ne trahit jamais les personnages.
On se perd entre le film scénarisé et le documentaire d’auteur, c’est troublant de se dire que rien n’est orchestré ou joué.
Après la projection, la réalisatrice Lamia Chraibi a partagé les dessous du tournage : la durée, les doutes, les ajustements. On comprend vite que CIRCO est autant une expérience de cinéma qu’un engagement personnel. Elle nous confie qu’Ashila présentera bientôt le film au Brésil, au sein d’un événement de cinéma queer. Une boucle symbolique qui rend hommage à tout le parcours traversé.
CIRCO est un documentaire rare, à la fois tendre et radical. Il ne cherche pas à tout expliquer ni à édulcorer les réalités. Il nous laisse le temps de ressentir, de comprendre sans être guidé, de nous attacher.
C’est un film sur ce qu’on perd, et ce qu’on construit à la place. Sur les liens qu’on tente de garder, sur les identités qu’on façonne malgré tout. Et sur la lumière qu’on porte en soi, même quand tout vacille autour. Cette fameuse envie de briller comme nous tant bien dit Laima.
La soirée s’est terminée par un DJ set de Tupi Collective sur des airs brésiliens.
CIRCO est à l'affiche à Montréal depuis le 11 juillet.